D’Irma à Robert, le Québec en marche vers la santé

par Judith Gagnon, présidente de l’AQDR nationale et de l’AQDR Québec

Tiré d’une expérience personnelle vécue récemment, voici un récit qui démontre l’évolution de la science, des mentalités et des pratiques médicales.

Plusieurs d’entre vous ont su que mon conjoint a vécu un épisode de santé difficile, la leucémie lymphoïde. En l’espace de quelques mois, il est passé de malade chronique sans grande limitation fonctionnelle à malade en phase aiguë, dangereusement affecté par la leucémie. Je l’ai accompagné dans cette aventure qui aurait pu mal tourner sans soins de santé de qualité. Mon conjoint se porte beaucoup mieux maintenant. J’ai voulu raconter cette histoire en la remettant dans un contexte m’amenant à parler de l’histoire de la fondatrice et de l’évolution du petit hôpital, fondé en 1923, devenu un centre hospitalier de haut niveau, tourné délibérément vers l’avenir, toujours à la recherche d’une médecine de l’excellence. Je termine avec un regard positif, plein d’espoir sur l’évolution de la médecine surtout en regard de l’hématologie. La médecine fait des pas de géants, et on peut voir maintenant des personnes atteintes de leucémie traitées par des spécialistes compétents, s’en sortir et même guérir.

Je commence mon histoire qui, au fil de mes recherches, a pris tout son sens et, je l’avoue, qui m’a passionnée.

Mon conjoint a été traité au département d’hémato-oncologie de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus qui fait maintenant partie du CHU de Québec. En faisant une recherche sur cet établissement, j’ai découvert qu’il a été cofondé en janvier 1923, par la première femme médecin canadienne-française, la docteure Irma Le Vasseur. Il fallait donc que je m’y arrête.

Dre Irma Le Vasseur, une figure inspirante et émouvante

L’histoire de cette femme d’action est percutante et démontre la lutte que les femmes québécoises ont dû mener pour accéder à des professions réservées aux hommes. Dre Le Vasseur aurait pu facilement être aussi la fondatrice d’un mouvement de défense des droits.
Bref retour sur l’histoire[1] d’Irma Le Vasseur, née le 20 janvier 1877, à Québec, et décédée le 18 janvier 1964, à Québec.
Très tôt dans sa vie, Irma a voulu devenir médecin. Son chemin atypique, parsemé d’obstacles, mérite qu’on s’y arrête.

Devant l’impossibilité de faire ses cours de médecine au Québec, elle s’inscrit à l’École de médecine de l’Université Saint-Paul au Minnesota, où elle obtient son diplôme en juin 1900. Elle exerce quelque temps à New York avant de revenir au Québec, où elle s’adresse à l’Assemblée législative pour obtenir l’adoption d’une loi privée, lui accordant le droit de pratiquer dans sa province natale. Le 25 avril 1903, elle devient la douzième Québécoise et la première Canadienne française à obtenir ce privilège. Son droit de pratique à peine obtenue, elle part en Europe se spécialiser en pédiatrie. Le fort taux de mortalité des enfants à cette époque et le manque de soins adéquats l’amène à concentrer ses énergies pour faire avancer les soins pédiatriques. Dans le cours de ses démarches, à l’automne 1907, elle s’allie à d’autres femmes de la grande bourgeoisie canadienne-française de Montréal et quelques médecins pour fonder l’hôpital Sainte-Justine, le premier hôpital pédiatrique canadien-français du Québec. En 1908, écartée du bureau médical, elle quitte l’institution dont elle est pourtant la principale instigatrice.

Dre Le Vasseur retourne à sa pratique médicale outremer de 1908 à 1922, où elle est davantage reconnue et appréciée pour ses compétences.

En 1922, revenue définitivement dans sa ville natale, Québec, elle achète une résidence sur la Grande-Allée, à l’emplacement actuel de l’édifice H du complexe administratif gouvernemental où, en janvier 1923, elle inaugure, en collaboration avec deux autres médecins, un nouvel hôpital pour enfants, l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Une fois encore, des dissensions surgissent entre elle et les autres administrateurs de l’établissement dont elle est finalement exclue. À l’automne 1923, l’Hôpital de l’Enfant-Jésus quitte la résidence de la rue Grande-Allée, propriété d’Irma Le Vasseur, qui y installe une autre institution dont elle assume seule la direction. Elle poursuit inlassablement sa mission pour l’amélioration des soins pédiatriques et fait souvent face à des difficultés qui l’obligent momentanément à dévier de son parcours. Le peu de reconnaissance et d’aide concrète amène Irma Le Vasseur à s’isoler de plus en plus à la fin de sa carrière. Elle doit, à ce moment de sa vie où elle est, à plus de 80 ans, le plus vulnérable, faire face à des difficultés incroyables qui atteignent son intégrité personnelle. Le 15 novembre 1957, elle est sortie de son domicile par une infirmière et une travailleuse sociale pour être internée à l’hôpital Saint-Michel-Archange, voisin de la Clinique Rousseau, refuge des maladies psychiatriques. Enfermée sans examen médical préalable, réduite aux conditions de vie d’une malade psychiatrique, Irma Le Vasseur engage une poursuite contre le surintendant médical. Après huit mois d’internement, elle obtient sa libération. Elle vivra seule, jusqu’à l’âge de 87 ans, terminant ses jours dans un petit hôpital, alors Hôpital Ville-Marie, mais dont on ne peut trouver les traces. Ses funérailles furent célébrées dans la plus grande sobriété à l’Église Saint-Cœur-de-Marie, le 19 janvier 1964. Son nom fut pour la première fois inscrit sur la pierre tombale à l’été 2004.

Le 14 mars 2017, lors d’une cérémonie spéciale à l’Hôpital de l’Enfant-Jésus, après des années passées dans l’ombre, une plaque commémorative soulignant l’importance historique nationale de la Dre Irma Le Vasseur a été dévoilée en présence de membres de la Commission des lieux et monuments historiques du Canada et de la PDG du CHU de Québec-Université Laval.

Selon les statistiques du Collège des médecins du Québec[2], actuellement au Québec, nous retrouvons en pratique médicale, 46,4% de femmes et 53,6% d’hommes. L’histoire a changé, mais il ne faut pas l’oublier.

L’Hôpital de l’Enfant-Jésus, vers une médecine de l’excellence

L’hôpital, fondé par la docteure Irma Le Vasseur en 1923, à l’origine axé sur les soins pédiatriques, change deux fois d’emplacement avant de se retrouver à son emplacement définitif sur le chemin de la Canardière, dans le quartier Limoilou de la ville de Québec. En 1930, l’hôpital commence à offrir des soins spécialisés dans des domaines autres que la pédiatrie. À partir de 1950, l’hôpital multiplie les nouveaux services médicaux surspécialisés en neurologie et en traumatologie.

Le 30 septembre 1995, l’hôpital est administrativement fusionné avec l’Hôpital du Saint-Sacrement pour former le Centre hospitalier affilié universitaire de Québec «CHA». Le «CHA» se fusionne à son tour au Centre hospitalier universitaire de Québec «CHU», le 9 juillet 2012.

En août 2013, alors que le gouvernement devait procéder à l’agrandissement de l’Hôtel-Dieu dans le Vieux-Québec, centre hospitalier spécialisé en oncologie, pour le moderniser et y inclure un service de radiothérapie, des médecins spécialistes[3] s’opposent et revendiquent un nouvel emplacement, mieux adapté aux besoins des patients. Le mouvement Médecine de l’excellence voit le jour.

Les chefs de département de plusieurs hôpitaux, y compris ceux de l’Hôtel-Dieu, relancent le débat pour le recentrer. Ils demandent le regroupement des spécialités et demandent un hôpital pensé pour les patients et axé sur une vision d’avenir en médecine et en recherche médicale.

Le 1er mars 2013, le ministre de la Santé et des Services sociaux de l’époque, le Dr Réjean Hébert, reconsidère la décision prise et annonce la construction d’un hôpital universitaire moderne sur le site actuel de l’Enfant-Jésus.

Le projet du nouveau complexe hospitalier (NCH) amorce une nouvelle étape vers sa concrétisation. L’annonce a été faite le mardi 11 avril 2017, par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Dr Gaétan Barrette, et le ministre de l’Emploi et de la Solidarité sociale et ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, M. François Blais. Cette annonce officialise le passage à l’étape de la réalisation qui devrait se terminer en 2025.

Le nouveau complexe hospitalier vise à regrouper toutes les activités cliniques et de recherche de l’Hôtel-Dieu de Québec sur le site de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus. Les défis sont multiples : offrir un meilleur accès, une expérience «patient» améliorée, anticiper les besoins et les technologies de l’avenir et fondre tout ça, de même que les cultures de deux institutions distinctes, dans une nouvelle alliance qui formera un seul et même grand hôpital, s’intégrant bien aux tissus urbains existants.

Le service d’hémato-oncologie de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus

L’histoire vécue débute ici. En avril 2017, mon conjoint, suivi depuis 2013 pour une leucémie chronique, apprend que son état s’est empiré et qu’il a besoin de traitements. Nous étions sur le point de partir en voyage, quelle déception! Ni lui ni moi n’arrivions à imaginer que le cancer avait pris du terrain. C’est surprenant de ne pas même y avoir pensé. Et pourtant, cela faisait plusieurs fois que nous allions au service d’hématologie-oncologie de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus pour des suivis. Régulièrement, dans la salle d’attente, on entendait nommer des personnes appelées pour des traitements de chimiothérapie.

Progressivement, les services se sont mis en place autour de mon conjoint qui avait dû récemment changer d’hématologue en raison d’une prise de retraite. C’est donc le Dr Robert Delage qui se trouve être maintenant son médecin spécialiste. Le personnel du service d’hémato-oncologie est dévoué et attentif aux besoins des personnes. Ils fournissent des soins de qualité avec respect pour la clientèle. L’espace est correct et facilement accessible en raison de la signalisation. Les liens avec les autres services de l’hôpital sont aussi très rapides. Souvent en quelques minutes, le résultat des prises de sang arrive. Tout est coordonné.

 La relation avec le médecin

En raison de l’état de la personne qui demande des soins, de sa vulnérabilité et de l’importance du lien de confiance entre médecin et patient, il fallait que ce lien s’établisse entre mon conjoint et son médecin. Dans cet hôpital, la pratique veut que chaque patient ait un médecin qui le suit durant tous les traitements, sauf, évidemment, lors de vacances ou de situations fortuites. On a vu à l’usage que cette pratique avait permis d’établir le lien de confiance nécessaire.

Je cite ce que le Dr Delage[4] avait mentionné lors d’une entrevue avec une journaliste portant sur le traitement du cancer : «La relation entre le médecin et le malade est la plus intense qui soit. On n’est pas obligé de guérir pour aider le monde, on peut quand même les aider à cheminer. C’est pour ça que pour nous c’est essentiel de voir le même.»

Les traitements : chimiothérapie et transfusions de sang

Les traitements de chimiothérapie ont commencé. Dès la première thérapie, les résultats ont été concluants. Le cancer avait diminué. Une première bataille gagnée, mais une fatigue immense qui allait en empirant. À ce moment, nous ne comprenions pas ce qui arrivait. Les résultats de prise de sang s’avéraient très bons à un niveau et mauvais à un autre. Il a fallu plusieurs transfusions sanguines, qui, en fin de compte, n’arrivaient pas à lui procurer une amélioration continue. La faiblesse de mon conjoint et l’incertitude du lendemain nous angoissaient beaucoup. Je me suis mise à faire des recherches sur Internet pour essayer de comprendre la situation et explorer les avenues possibles. Je questionnais beaucoup le Dr Delage sur les traitements possibles. L’inquiétude nous rongeait. Le Dr Delage a toujours écouté et répondu aux questions. Il se rendait lui-même compte que ce patient ne réagissait pas exactement comme prévu dans le protocole.

Le changement de thérapie, un espoir

La compétence et l’expérience de ce médecin, toujours patient et animé par la volonté de trouver une solution pour traiter et aider son patient, ont valu la peine. L’arrêt de la chimiothérapie et la prescription d’un médicament ont amélioré et stabilisé la situation de mon conjoint qui rapidement n’a plus eu besoin de transfusion sanguine. À l’heure actuelle, la santé de mon conjoint s’est beaucoup améliorée. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas vu aussi bien.

Dr Robert Delage, la passion grandit avec l’usage[5]

Toujours au service de ses patients, Robert Delage MD, MSc, FRCP, est chef du Service clinique d’hématologie du CHU de Québec, Hôpital de l’Enfant-Jésus, et professeur titulaire, du département de médecine à l’Université Laval, Québec.

Il m’a largement inspirée, notamment dans cet article où il parle librement de l’hématologie, discipline où la science évolue le plus rapidement depuis des années. Je le cite : «Les médicaments sont de plus en plus perfectionnés et les traitements sont individualisés.»
Quant au partage de connaissances entre les spécialistes au niveau mondial, il souligne que «de plus en plus, les spécialistes sont facilement joignables en quelques clics de souris. En 20 minutes, je peux avoir une réponse. La rapidité de l’accès à l’information pertinente est incroyable.»

Toutes les avancées technologiques permettent maintenant de traiter, voire de guérir des maladies rares avec des traitements personnalisés, à cause de la caractérisation moléculaire et chromosomique. Il y a même des moyens pour stimuler le système immunitaire et, dans d’autres cas, ralentir en utilisant une molécule pour freiner le développement d’un cancer.

Tout comme Irma Le Vasseur, très tôt dans la vie, Robert Delage voulait devenir médecin. Il avait la passion, la détermination et la fascination pour la carrière.

Visiblement, il fait partie de cette longue lignée de personnes inspirantes qui contribuent à améliorer la santé du monde avec respect et humanité.

L’histoire se termine ici sur une note positive. Si vous avez des récits à partager, ils seront les bienvenus.


[1] L’encyclopédie canadienne, IRMA LEVASSEUR, p. 1 à 4.
[2] Statistiques sur les médecins du Québec, répartition selon le sexe.
[3] Journal de Québec, 23 août 2013, Santé Québec, Naissance d’un collectif, par Jean-Luc Lavallée.
[4] Traitement du cancer : une place à part au CHA; entrevue avec Robert Delage, chef du service d’hématologie du CHA, 2 septembre 2010.
[5] Dr Robert Delage, hémato-oncologue : «La passion grandit avec l’usage», Le Soleil, 3 décembre 2016.

AQDR