« On est en crise » : des locataires demandent des règles antirénoviction avec du mordant

Dominique Millette porte un chandail orange

Dominique Millette risque d’être évincée du logement qu’elle loue à London. Son propriétaire dit vouloir rénover l’appartement.

Photo : Radio-Canada / Bienvenu Senga

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La Ville de London, dans le sud-ouest de l’Ontario, cherche à mettre en place un règlement municipal pour décourager les « rénovictions ». Toutefois, l’ébauche du document évaluée cette semaine par un comité municipal déçoit bien des locataires, qui réclament de nombreuses mesures supplémentaires.

Dominique Millette a une boule dans le ventre depuis qu’elle a reçu, au début de l’année, un avis N13 de son propriétaire. Ce dernier l’avisait ainsi que son bail serait résilié au plus tard le 30 juin et qu’elle devait donc quitter, d’ici là, l’appartement d’une chambre qu’elle occupe depuis maintenant huit ans, non loin du centre-ville.

Le propriétaire y expliquait qu’il comptait faire des travaux de rénovation. C’est extrêmement anxiogène, raconte la travailleuse autonome, qui souligne que son revenu ne lui permettrait pas de louer un autre appartement similaire.

Un formulaire N13 vierge

Les propriétaires sont tenus de livrer un avis N13 comme celui-ci aux locataires qu’ils souhaitent évincer pour faire des rénovations. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada / Jean-Loup Doudard

Le prix moyen d’un appartement à une chambre à London est estimé à 1775 $ par mois, selon les données de septembre de Rentals.ca et d’Urbanation. Toujours selon ces agrégateurs, il s’agit d’une baisse de 1,4 % par rapport à l’an dernier à pareille date. Cependant, London est aussi la ville qui a connu la hausse la plus marquée des loyers en Ontario entre 2019 et 2023.

C’est épouvantable. […] Je ne peux même plus avoir d’appartement. Il va falloir que je trouve une chambre. Et ça, ça affecte la santé mentale évidemment, parce que de vivre avec des étrangers, des gens qu’on ne connaît pas, c’est déjà plus difficile que d’avoir son propre appartement, affirme Mme Millette.

En Ontario, la Loi sur la location à usage d’habitation permet aux locataires qui sont contraints de quitter leur logement pour cause de rénovations de se prévaloir du droit de première option et d’y revenir après les travaux. Dans de tels cas, la loi indique également que les locataires peuvent occuper de nouveau le logement […] à un loyer qui n’est pas supérieur à celui qu’ils payaient avant les rénovations.

Cependant, dans un marché du logement en surchauffe, les propriétaires ont un incitatif pour faire entrer, après les rénovations, des personnes qui paient beaucoup plus cher, note Mme Millette, en attente d’une audience du Tribunal de l’aménagement du territoire, qui devra statuer sur son éviction.

Robin Slade porte un chandail rouge

Robin Slade est la coprésidente de la section de London de l’organisme ACORN, qui défend les droits des personnes à faible revenu.

Photo : Radio-Canada / Bienvenu Senga

Des cas comme celui de Mme Millette, l’organisme London ACORN, qui défend les droits des personnes à faible revenu, en voit tous les jours, déplore sa coprésidente Robin Slade.

Son groupe avait donc de grandes attentes lorsque les élus municipaux de London ont accepté, en juillet, de mettre en place des règles plus strictes visant à protéger davantage les locataires des évictions qui ne visent qu’à augmenter substantiellement le prix des loyers.

En janvier dernier, la Ville de Hamilton est devenue la première ville en Ontario à adopter un règlement municipal antirénoviction.

À London, les avis N13 répertoriés ont bondi dans le dernières années. Selon un rapport des fonctionnaires municipaux, ACORN Canada en avait recensé environ 45 en 2022-2023, tandis que Neighbourhood Legal Services (London & Middlesex) en a compté plus de 450 en 2023-2024.

Une dame tient dans ses mains une pancarte

Des locataires de London ont manifesté lundi à l’hôtel de ville, où un comité municipal évaluait l’ébauche d’un nouveau règlement municipal visant à lutter contre les rénovictions.

Photo : CBC / Isha Bhargava

Le nouveau règlement, dont une ébauche a été présentée cette semaine à un comité municipal, exigerait aux propriétaires d’obtenir un permis au coût de 600 $ pour effectuer des rénovations, qui devraient commencer dans les six mois suivants. Les propriétaires devraient aussi fournir une lettre d’un ingénieur ou autre professionnel qualifié attestant que les travaux de rénovation sont nécessaires.

Toujours selon l’ébauche du règlement, les propriétaires seraient également contraints de fournir à leurs locataires, en même temps que l’avis N13, des documents d’information qui leur expliquent leurs droits.

Les propriétaires qui refuseraient de se conformer à ces règles s’exposeraient à des amendes allant de 1000 à 2500 $.

Suivre ou pas l’exemple de Hamilton?

L’ébauche du règlement laisse toutefois de côté des éléments cruciaux, estime Robin Slade de London ACORN.

Elle note que le règlement adopté à Hamilton obligera le propriétaire à trouver un logement équivalent pour ses locataires pendant la durée des rénovations. Dès son entrée en vigueur, en janvier 2025, les propriétaires devront aussi fournir à leurs locataires la différence entre le prix des deux loyers.

Sans ces deux éléments-là, le règlement ne protège pas réellement les locataires d’une éviction et ne fournit pas de mécanisme pour s’assurer qu’ils y retournent après les rénovations.

Une citation deRobin Slade, coprésidente de London ACORN

Mais d’emblée, les fonctionnaires municipaux de London écrivent dans leur rapport qu’ils ne recommandent pas de répliquer les dispositions du règlement de Hamilton.

Ils expliquent que tout règlement doit prévoir certaines exceptions et que dans une ville comme London, où le taux d’inoccupation est estimé à 1,7 %, la plupart des [propriétaires] demanderaient une exemption à l’obligation de trouver un logement temporaire à leurs locataires.

Il serait difficile de prouver qu’il y avait des opportunités adéquates de logements pour les locataires évincés, peut-on lire dans le rapport.

Si un propriétaire n’est pas capable de trouver un logement alternatif ou de fournir la différence de loyer, comment est-ce que les personnes à faible revenu peuvent être capables d’y arriver? soulève Robin Slade.

Elle réclame aussi des amendes encore plus élevées, mais le directeur de l’application des règlements à la Ville de London, Orest Katolyk, souligne que les amendes prévues dans l’ébauche de règlement sont parmi les plus élevées de tous les autres règlements municipaux en vigueur à London.

Elles sont d’ailleurs plus élevées que celles qui sont prévues dans le règlement de Hamilton, a-t-il affirmé lundi pendant la réunion du comité des services communautaires.

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Le genre de politique auquel on devrait aspirer, croit un expert

Les fonctionnaires municipaux de London croient aussi que l’application d’un règlement similaire à celui de Hamilton et la gestion des exemptions nécessiterait beaucoup de temps et de ressources.

Cependant, le jeu en vaut la chandelle, estime le professeur Brian Doucet. de l’Université Waterloo, qui est spécialisé en urbanisme.

Si les villes sont déterminées à s’assurer que les logements restent disponibles et que le prix des loyers demeure abordable, [les règlements antirénoviction] sont le genre de politique auquel on devrait aspirer.

Une citation deBrian Doucet, professeur à l’Université Waterloo
Brian Doucet dans une rue de Hamilton

Brian Doucet s’intéresse à l’accès au logement dans le cadre de ses recherches.

Photo : Radio-Canada / Yasmine Mehdi

Le conseiller municipal David Ferreira a évoqué sa crainte de voir un règlement semblable à celui de Hamilton contesté en cour. C’est une possibilité réelle, dit le professeur Doucet.

Il rappelle toutefois le précédent de New Westminster, en Colombie-Britannique. Après que la Ville eut adopté un règlement antirénoviction, en 2019, des promoteurs immobiliers l’ont contesté en cour, mais la Cour d’appel de cette province a finalement donné raison à New Westminster en 2021.

C’est un exemple qui montre que les tribunaux peuvent trancher en faveur des villes et décider qu’elles ont la légitimité [de mettre en place un tel règlement]. Et si assez de villes font la même chose, il y aura un momentum qui sera créé […] au niveau de toute la province, et même de tout le pays, indique M. Doucet.

Le règlement sera évalué par l’entièreté du conseil municipal le 24 septembre. Dominique Millette continue d’espérer que les élus y ajouteront les modifications qu’elle aimerait y voir pour en faire un règlement qui a des dents, qui a du mordant.

On est en crise. Allô! Faites de quoi. Merci! conclut-elle.

Source: « On est en crise » : des locataires demandent des règles antirénoviction avec du mordant | Radio-Canada

AQDR