
PHOTO ANDREW HARRER, ARCHIVES BLOOMBERG
Sans l’atteinte des cibles, la paye des médecins pourrait baisser par rapport à la situation actuelle et au mieux, augmenter de 2,5 %, selon ce que Québec a inscrit dans sa loi.
Il y a les fameuses « sanctions punitives », qui rebutent profondément les médecins. Mais il y a aussi l’éternelle question financière, plutôt passée sous silence, ainsi que le droit de gérance du gouvernement. Ces trois éléments, interreliés, sont au cœur des négociations.
Dans sa sortie de jeudi, Lucien Bouchard a affirmé que le syndicat des médecins spécialistes (qu’il représente) et le gouvernement sont venus bien près de s’entendre, notamment sur la nature des primes à la performance, mesure incitative plutôt que punitive. Il impute l’échec au ministre Christian Dubé, qui aurait « bloqué le dossier1 ».
Ce que Lucien Bouchard omet de dire, c’est que jamais les deux camps n’ont été vraiment près d’une entente sur l’aspect financier, pourtant fondamental, selon ce que me disent deux sources proches des négociations au ministère de la Santé et au Conseil du trésor, propos confirmés par la directrice des comunications du ministre Christian Dubé, Catherine Barbeau.
« Le nœud, c’est le monétaire. On était loin d’une entente sur le monétaire », me dit Mme Barbeau.
L’écart entre les deux camps est abyssal.
Comme position de départ, les deux syndicats de médecins (spécialistes et omnipraticiens) réclamaient une hausse de rémunération de 17,4 % sur cinq ans (entre 2023 et 2028), comme celle des infirmières et des enseignants, me confirment les deux organisations2.
De son côté, le gouvernement du Québec exigeait le gel de la rémunération, compte tenu du déficit budgétaire et de la paye avantageuse de nos médecins par rapport à ceux des autres provinces. Si certains médecins méritent plus, il faudra qu’ils soient dédommagés par une redistribution des sommes entre eux.
Le gel ne signifie pas que l’enveloppe globale stagne, paradoxalement. Le gouvernement doit tout de même l’augmenter de 1,5 % à 1,7 % pour tenir compte de la croissance et du vieillissement de la population.
Le 25 octobre, la loi 2 a finalement consenti une maigre hausse de 2,5 % aux médecins en 2026, mais cette hausse est conditionnelle à l’atteinte d’objectifs de performance.
Ce n’est pas tout : en vertu de la loi 2, seule une partie de la rémunération (85 %) que touchent actuellement les médecins est garantie. Le reste dépend de l’atteinte de certaines cibles de performance. C’est ce que Lucien Bouchard appelle des « sanctions punitives ».
Bref, sans l’atteinte des cibles, la paye des médecins pourrait baisser par rapport à la situation actuelle et au mieux, augmenter de 2,5 %, selon ce que Québec a inscrit dans sa loi.
Costaud, quand même…
L’écart est donc abyssal entre les deux camps, comme je le disais.
À la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ), on affirme n’avoir pu discuter de l’aspect financier, puisque la première offre de Québec – 0,5 % par année – était accompagnée du maintien des « sanctions punitives », jugé inacceptable.
La grande difficulté des négos actuelles, donc, c’est que le gouvernement veut à la fois geler l’enveloppe des médecins et transformer leur rémunération pour la lier à des cibles.
Ces deux objectifs combinés l’obligent à réduire la paye garantie des médecins, ce qui est profondément démotivant pour des personnes qui sont largement dévouées à leur travail.
Le renforcement positif donne souvent de bien meilleurs résultats, comme des primes incitatives. Québec fait toutefois valoir que le concept des primes incitatives est au cœur du système actuel et qu’il n’a pas donné les résultats escomptés, loin de là.
Des exemples de primes qui ont été offertes ? Prime pour travailler le soir, prime pour prendre en charge plus de patients, prime pour arriver à l’heure, prime pour assister à certaines réunions, etc.
« Il n’est pas soutenable de gonfler encore l’enveloppe des primes. Il faut donc les intégrer à l’enveloppe existante », me dit Catherine Barbeau, directrice des communications du cabinet de Christian Dubé.
L’opération de transformation de la rémunération serait plus acceptable si une certaine hausse était sur la table, disons 6 % sur cinq ans. On pourrait ainsi accorder cette hausse à la seule condition que des cibles soient atteintes, ce qui n’aurait pas d’effet punitif de réduction de la rémunération.
Évidemment, une discussion devrait avoir lieu sur la faisabilité de l’atteinte des cibles, mais l’irritant punitif serait évacué.
À ce sujet, Québec affirme que plusieurs cibles sont facilement atteignables, tandis que des médecins les trouvent souvent irréalistes.
Justement, la troisième pierre d’achoppement entre les deux camps, outre la question financière et l’aspect punitif, porte sur qui aura le pouvoir de décider des cibles. Québec veut se garder le droit de gérance, c’est-à-dire pouvoir trancher sur la hauteur des cibles, après consultation, donc sans avoir l’accord des syndicats de médecins, ce que ces derniers refusent.

En attendant, les deux camps montrent peu de signes de rapprochement. Certes, le ministre Dubé a accepté de maintenir le supplément accordé aux médecins spécialistes lors d’une première consultation, dont l’abolition était un non-sens. Changement semblable pour la prime de 30 % accordée aux médecins de groupes de médecine de famille (GMF) pour payer leurs frais d’administration.
Mais c’est trop peu. Pour retourner à la table, les syndicats de médecins réclament la suspension de la loi 2 et le retrait des indicateurs de performance basés sur le volume, notamment, rien de moins.
Les deux parties restent bien campées sur leurs positions, et c’est dommage. Certains commencent à s’inquiéter des effets à long terme de ces négociations, les plus difficiles depuis longtemps.
SOURCE: Loi 2 sur les médecins | Les trois pierres d’achoppement des négos | La Presse

