L’AFFIRMATION: «Il y a une question qui me fatigue depuis des mois : est-il vrai qu’un travailleur social qui est témoin de l’abus financier d’une personne âgée n’est pas tenu, même avec preuve, de le dénoncer, malgré son adhésion à un ordre professionnel et son lien d’emploi avec un CLSC, qui a un code déontologique? Avec la Protection de la jeunesse, les dénonciations sont faciles mais il semble que ça n’est pas le cas avec les aînés…», demande Émilie Contant, de Morin Heights.
Les faits
De manière générale, les travailleurs sociaux (TS) sont tenus par le «secret professionnel», dit Alain Hébert, de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux et des thérapeutes conjugaux (OTSTCFQ). Cela signifie que le «mode par défaut», pour ainsi dire, est qu’un TS n’est non seulement pas obligé de dénoncer, mais qu’il n’a carrément pas le droit de le faire — même s’il y a toutes sortes d’exceptions, j’y reviens toute de suite. Le simple fait d’être témoin d’un acte criminel dans l’exercice de leurs fonctions ne suffit pas, en lui-même, pour permettre la dénonciation; il faut avoir le consentement explicite de leur client ou patient.
Par exemple, si un jeune toxicomane admet à son travailleur social avoir fraudé sa grand-mère pour s’acheter de la drogue, ou si c’est le grand-parent qui le confie, le TS ne pourra pas transmettre cette information à la police. C’est même inscrit dans le Code de déontologie de son ordre professionnel, à l’article 39 : «Le membre [de l’ordre] respecte le secret de tout renseignement de nature confidentielle qui vient à sa connaissance dans l’exercice de sa profession. Il ne peut être relevé du secret professionnel qu’avec l’autorisation de son client ou lorsque la loi l’ordonne ou l’autorise par une disposition expresse.»
«C’est une chose qui est vraiment fondamentale parce que c’est ce qui permet d’établir une relation de confiance avec le client, explique M. Hébert. Alors, c’est extrêmement important pour le TS de ne pas divulguer les renseignements qu’un client lui confie sans son consentement.»
Il existe cependant des circonstances dans lesquelles le secret professionnel peut être levé. Ainsi, l’article 40 de ce même Code de déontologie libère le TS du secret professionnel si la divulgation d’un renseignement protégé permet de prévenir un «acte de violence», lorsqu’il existe «un motif raisonnable de croire [à] un risque sérieux de mort ou de blessures graves». Et ici, précise M. Hébert, «la notion de blessure grave comprend autant les atteintes physiques que psychologiques, alors les abus financiers pourraient potentiellement être inclus [s’ils sont suffisamment graves]. Il revient au travailleur social d’évaluer si ça s’applique au cas par cas».
Hormis le Code de déontologie, ajoute M. Hébert, la Loi visant à lutter contre la maltraitance envers les personnes aînées ou vulnérables prévoit aussi quelques exceptions où le secret professionnel peut, ou même doit obligatoirement être levé. Ainsi, un TS ou tout autre professionnel de la santé a connaissance d’un cas de «maltraitance» doit le signaler sans attendre, et en dépit du secret professionnel, quand il s’agit d’une personne vivant en CHSLD, en «ressource intermédiaire» ou en «milieu familial», d’une personne vulnérable vivant en RPA ou d’une personne considérée comme «officiellement» inapte à la suite d’une évaluation médicale ou d’un jugement de cours qui la place sous tutelle ou sous curatelle.
Il y a donc un certain nombre de situations — du moins, plus qu’avant l’adoption de la loi sur la maltraitance et son élargissement en avril dernier — où les travailleurs sociaux peuvent, voire doivent dénoncer des abus financiers dont ils seraient témoins à l’endroit d’un aîné. Cela laisse bien sûr un grand nombre de personnes âgées pour lesquelles le secret professionnel tient toujours : celles qui vivent hors d’une résidence parce qu’elles sont autonomes. Mais dans leur cas, leur autonomie implique par définition qu’elles sont capables de gérer leurs affaires, prendre leurs décisions, etc.
«Il est admis qu’une personne puisse faire des choix allant à l’encontre de son propre intérêt, d’un point de vue externe à tout le moins, dans la mesure où celle-ci possède les facultés pour ce faire, indique M. Hébert. Cette reconnaissance de la liberté de la personne trouve notamment ses ancrages dans le cadre législatif. C’est en ce sens que le travailleur social a un devoir de respecter le secret professionnel et d’agir avec le consentement de son client dans le cadre des services professionnels qu’il lui offre à moins qu’il s’agisse d’une situation pour laquelle un signalement doit obligatoirement être fait.»
Notons que même lorsque le TS ne dénonce pas, cela ne signifie pas forcément que rien ne sera fait, souligne M. Hébert. «Il y a quand même un devoir d’agir, il n’y a pas de travailleur social qui pourrait se fermer les yeux. Mais la divulgation d’informations confidentielle à des tiers, c’est une exception et même dans les situations où le secret professionnel est levé, on tente généralement de conserver le consentement du client. On tente de voir avec la personne les enjeux autour de ces abus-là, on peut continuer de travailler là-dessus en clinique.»
Verdict
Ça dépend. Dans certains cas prévus par la déontologie et par la loi, un travailleur social témoin d’un abus financier grave à l’égard d’un aîné pourrait, voire devrait le dénoncer à la police. Mais la règle générale est que les TS sont tenus par le secret professionnel et qu’ils ne peuvent pas divulguer ce que leurs clients leur dévoilent dans l’exercice de leurs fonctions.
Source : lesoleil.com