Les maladies post-infection, comme la COVID longue, plus fréquentes qu’on le pense

Dès le début de la pandémie, des scientifiques ont prévenu que la COVID-19 pouvait entraîner des séquelles à long terme, et ce, même après une infection bénigne. Après tout, au moins une douzaine d’autres pathogènes connus provoquent des syndromes post-infection. Pourquoi n’a-t-on pas vu venir ce problème pour ainsi possiblement éviter que des millions de personnes développent la COVID longue?

Il n’y a rien dans l’histoire du monde qui indique que se faire infecter par un pathogène est une bonne chose. On devrait toujours essayer de prévenir toutes les infections, même celles qui semblent bénignes, dit d’entrée de jeu le Dr Donald Vinh, microbiologiste-infectiologue au Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et chercheur clinicien.

Oui, dans bien des cas, précise-t-il, une infection ne mène pas à des séquelles graves. Mais on sait depuis très longtemps que ce n’est pas la trajectoire normale pour plusieurs infections. Parfois, un pathogène cause des symptômes qui persistent. Dans d’autres cas, de nouveaux symptômes apparaissent et ne ressemblent pas nécessairement à [ceux de] la maladie originale.

Pour la Dre Akiko Iwasaki, professeure d’immunobiologie à la faculté de médecine de l’Université Yale, la COVID longue a révélé cette réalité. La COVID longue a mis en lumière les syndromes post-infection. Beaucoup de gens souffrent de symptômes inexpliqués après la phase aiguë de leur infection virale, bactérienne ou parasitaire.

Pas que la COVID longue

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Une représentation du coronavirus.

Ces trois experts soulignent qu’il y a de plus en plus d’études qui démontrent un lien entre une infection et un risque accru de développer des maladies auto-immunes, des cancers ainsi que des maladies neurodégénératives et cardiovasculaires.

En fait, la majorité des pathogènes les plus connus peuvent être liés à un syndrome chronique, souligne la Dre Amy Proal, microbiologiste à la fondation PolyBio Research.

Si ces virus et ces bactéries ne sont pas nécessairement la cause principale de ces maladies, les chercheurs croient qu’ils peuvent déclencher certaines maladies chez les personnes prédisposées.

Ces trois experts soulignent plusieurs de ces liens :

  • Le virus d’Epstein-Barr (mononucléose) peut causer des lymphomes et des cancers ainsi que le syndrome de Guillain-Barré. De plus, le risque de contracter la sclérose en plaques est multiplié par 32 après une infection.

  • Le zona, causé par la réactivation du virus de la varicelle-zona, fait augmenter les risques d’accident vasculaire cérébral.

  • La grippe peut entraîner une inflammation du cerveau et du cœur. Certaines formes pourraient accroître le risque de développer la maladie de Parkinson (Nouvelle fenêtre).

  • La polio (Nouvelle fenêtre) peut entraîner des périodes de fatigue intense et de graves faiblesses musculaires des années après l’infection initiale.

  • Des virus comme ceux de la rubéole, du chikungunya et de l‘hépatite C peuvent provoquer des douleurs arthritiques chroniques.

  • Le sarcome de Kaposi, un cancer agressif, survient chez les personnes infectées par le VIH.

  • Une infection du parasite Giardia lamblia est associée à un risque accru de syndrome du côlon irritable (Nouvelle fenêtre) et de fatigue chronique.

  • Des chercheurs soupçonnent que certains virus (possiblement les entérovirus humains) pourraient être un élément déclencheur du diabète de type 1 (Nouvelle fenêtre).

  • La maladie de Lyme, causée principalement par la bactérie Borrelia, peut entraîner des douleurs musculaires ou arthritiques, de la fatigue incapacitante, des problèmes de mémoire ou de concentration ainsi que des atteintes au système nerveux.

Compte tenu de tous ces exemples, la Dre Iwasaki croit que les autorités sanitaires auraient dû mieux anticiper le fait que les infections de SRAS-CoV-2 pouvaient mener à des séquelles chroniques.

Nous avons constaté des éléments très similaires avec l’Ebola, la dengue, la polio, le chikungunya et de nombreux autres virus. Oui, nous aurions dû voir venir [le nombre élevé de cas de COVID longue].

Une citation deLa Dre Akiko Iwasaki, professeure d’immunobiologie à la faculté de médecine de l’Université Yale
La docteure Akiko Iwasaki sourit.

La Dre Akiko Iwasaki, professeure d’immunobiologie à la faculté de médecine de l’Université Yale et directrice du Center for Infection & Immunity

PHOTO : ROBERT A. LISAK/YALE MEDECINE / ROBERT LISAK

Aujourd’hui, de plus en plus d’études font un lien entre une infection par le SRAS-CoV-2 et un risque accru de maladies cardiaques, de maladies auto-immunes, de polyarthrite rhumatoïde, de maladies intestinales (Nouvelle fenêtre), de la maladie d’Alzheimer, de démence et de la maladie de Parkinson (Nouvelle fenêtre).

Les dangers associés à la COVID-19 sont sous-estimés

C’est ce qu’a affirmé cette semaine le ministre allemand de la Santé, Karl Lauterbach, lors d’une conférence de presse sur la COVID longue (Nouvelle fenêtre)On ne devrait pas présumer que la COVID-19 est comme une grippe. L’infection peut endommager le cerveau et le système cardiovasculaire. Et nous n’avons pas de traitement efficace, a-t-il prévenu.

Selon la Dre Proal, il faut absolument que le public comprenne quels sont les risques à long terme associés aux infections.

Le virus [SRAS-CoV-2] comporte un risque important de développer des maladies chroniques. Nous n’avons pas suffisamment communiqué cette information aux gens. Trop de personnes croient que la seule issue de la COVID-19 est d’être guéri ou de mourir. Ils ne savent pas qu’il y a une possibilité de séquelles chroniques graves, dit-elle.

La Dre Proal ajoute que partout dans le monde, on constate une explosion de maladies associées à la COVID-19.

Je pense que les gens commencent à remarquer qu’il y a beaucoup de personnes autour d’eux qui ne vont pas très bien. Et je pense que les gens savent au fond d’eux que ces infections [à répétition] ne sont pas une bonne chose.

Une citation deLa Dre Amy Proal, PolyBio Research

La Dre Iwasaki s’inquiète elle aussi du nombre croissant de personnes qui développent des problèmes de santé après leur infection au coronavirus.

On a peut-être 10 % des personnes qui développent la COVID longue après la phase aiguë. Mais ça ne comprend pas celles qui développent des problèmes cardiaques, une maladie auto-immune ou un dysfonctionnement cognitif. Si on additionne tout ça, c’est probablement plus de 10 % [des gens infectés] qui ont des séquelles liées à la COVID-19.

Elle déplore le fait que la plupart des gens ignorent désormais les mesures de base pour prévenir les infections, y compris la vaccination.

Pour la Dre Proal, cette situation d’infections à répétition par le virus de la COVID-19 ne peut pas durer.

Il y a encore un nombre ridicule de gens qui tombent malades. Ces millions de personnes malades [qui développent ensuite la COVID longue] s’ajoutent à toutes les personnes atteintes de la maladie de Lyme, du syndrome de fatigue chronique et de toutes les maladies post-infection…

Le Dr Vinh ajoute que la multiplication des cas de COVID longue présente un fardeau considérable pour la société.

Avec chaque nouvelle éclosion ou vague, il y a une accumulation [de nouveaux patients]. Et ça entraîne plein de problèmes au-delà de la souffrance des patients : leurs familles souffrent […] et les systèmes de santé souffrent parce que ces gens cherchent à obtenir de l’aide et des soins.

Il craint par ailleurs que le nombre de cas n’augmente plus rapidement que les avancées scientifiques sur ces syndromes.

Le docteur Donald Vinh porte un sarrau blanc.

Le Dr Donald Vinh, microbiologiste-infectiologue au Centre universitaire de santé McGill

PHOTO : RADIO-CANADA

Quels liens entre tous ces syndromes post-infection?

Historiquement, les syndromes post-infection ont été peu étudiés, rappellent ces trois experts.

Il a toujours été difficile de prouver que ces virus, ces bactéries et ces parasites sont la cause de ces syndromes post-infection. Parfois, les personnes n’ont jamais su qu’elles avaient été infectées (elles étaient asymptomatiques). Et dans bien des cas, les symptômes de la maladie n’apparaissent qu’environ 10 ans après l’infection.

Cependant, le nombre considérable de cas de COVID longue donne un nouveau souffle à la recherche sur les syndromes post-infection.

La question qui hante les chercheurs en ce moment est celle-ci : pourquoi des virus qui semblent inoffensifs entraînent-ils parfois des symptômes invalidants et chroniques?

Les chercheurs croient qu’il y a des parallèles à faire entre ces divers syndromes puisque leurs symptômes se chevauchent (fatigue, troubles neurologiques, douleurs musculaires et articulaires, troubles du sommeil et de concentration).

On soupçonne que même s’il ne s’agit pas des mêmes pathogènes, ils ont peut-être le même mécanisme, et c’est ce qui expliquerait pourquoi les symptômes sont semblables.

Une citation deLa Dre Amy Proal, PolyBio Research

Certaines études, notamment celles sur le syndrome post-Ebola, ont permis aux chercheurs de mieux comprendre les mécanismes sous-jacents.

Certains survivants de l’Ebola ne guérissent pas. La raison demeurait un mystère. […] Puis, les chercheurs ont examiné des tissus oculaires et des échantillons de sperme et de lait maternel. Il y ont trouvé de l’ARN du virus Ebola, et ce, parfois des années après l’infection, explique la Dre Proal.

La docteure Amy Proal sourit.

La Dre Amy Proal, microbiologiste à la fondation PolyBio Research

PHOTO : LONG COVID RESEARCH INITIATIVE

Selon la Dre Iwasaki, de plus en plus de chercheurs, y compris ceux de sa clinique, le Yale Center for Infection & Immunity, essaient d’établir des points communs entre ces syndromes. Nous essayons d’avoir une approche intégrée en étudiant en même temps plusieurs syndromes post-infection aiguë.

Quatre hypothèses pour expliquer les mécanismes biologiques sous-jacents des syndromes post-infection

Persistance virale des fragments du virus se cacheraient dans plusieurs organes, par exemple dans l’intestin, les poumons et le cerveau, longtemps après l’infection, provoquant ainsi une inflammation chronique.

Auto-immunité : un virus pousserait le corps à déclencher une réponse immunitaire, conduisant ainsi à une inflammation chronique.

Virus latents ou en dormance : une nouvelle infection pourrait réactiver des virus comme ceux de l’herpès, de l’Epstein-Barr et de la varicelle.

Dommage aux tissus l’inflammation provoquée lors de l’infection endommage des tissus, notamment ceux du cœur et du cerveau.

Chez une même personne, un ou plusieurs des mécanismes biologiques soupçonnés pourraient être en cause.

Encore des années de recherche à venir

Sans une meilleure compréhension des mécanismes biologiques sous-jacents, il sera difficile de diagnostiquer et de traiter les personnes atteintes, admet la Dre Iwasaki.

D’ailleurs, un des problèmes majeurs pour tous ces syndromes est le fait que les tests cliniques actuellement disponibles ne réussissent pas à offrir un diagnostic. Dans bien des cas, les résultats ne sont pas concluants, au grand désarroi des patients.

Malgré de nombreuses questions qui restent en suspens, la Dre Proal ne perd pas espoir. Il y a énormément de gens qui travaillent sur ce problème. On commence à découvrir des biomarqueurs et différentes anomalies. Il y a des pistes.

En attendant, la Dre Proal croit qu’il faut éduquer le public sur les façons d’éviter les infections et, de surcroît, d’éviter les séquelles chroniques. Nous devons trouver de nouveaux moyens pour éliminer le virus de l’air afin d’empêcher les gens de tomber malades.

Dans le cas de la COVID-19, cette chercheuse estime qu’il faut notamment améliorer la qualité de l’air des bâtiments.

Le Dr Vinh rappelle qu’au cours des dernières décennies, le monde a fait d’énormes gains en matière de santé, et ce, en raison de l’accès à l’eau potable et à la vaccination, deux mesures éprouvées pour la prévention des infections. Il espère que le monde comprendra un jour que les infections, peu importe laquelle, doivent être prises au sérieux.

AQDR