Voici comment on devrait prendre soin de nos ainés

Prendre rendez-vous pour une prise de sang, réserver un transport adapté, désencombrer un logement, offrir une marchette ou un tabouret de douche : des gestes simples, peu coûteux et souvent rapides, qui permettent à des aînés de vivre plus longtemps à domicile. Cette aide contre le vieillissement hâtif s’appelle la gériatrie sociale.

« Ça prend un village pour s’occuper des aînés », lance le Dr Stéphane Lemire, gériatre, qui veut implanter avec la Fondation AGES le concept de gériatrie sociale partout en province. 

L’idée est simple : des navigateurs mettent les aînés en lien avec les différents services communautaires qui existent déjà pour faciliter leur maintien à domicile et surtout réduire les hospitalisations.

Le Journal a d’ailleurs suivi deux équipes à Montréal et Laval la semaine dernière, qui sont intervenues auprès d’une demi-douzaine d’aînés.

« Du bonbon »

« C’est du bonbon ! Ils sont là quand on a besoin d’eux », se réjouit Alan Wilson, âgé de 78 ans. L’aîné de Saint-Laurent perdait le fil de ses rendez-vous médicaux et se ruinait en taxis aux quatre coins de la métropole avant de rencontrer Luis Segovia.

Le coordonnateur et navigateur du projet CommunAînés lui rend visite une fois par semaine. Ensemble, ils démêlent les rendez–vous médicaux à venir, notés sur des bouts de papier et ils organisent un transport adapté pour M. Wilson.

« Avez-vous mangé ? Y a-t-il autre chose dont vous voulez discuter ? » en profite pour demander M. Segovia. Trop souvent, les aînés n’oseront pas demander de l’aide de peur de déranger, remarque-t-il.

​« Ce qui choque le plus les navigateurs, c’est la quantité d’aînés qui sont seuls, sans proche aidant ou ressource dans leur propre communauté », souffle quant à elle Mélanie Cyr, au volant de sa voiture.

Elle roule sur toute l’île de Laval pour répondre aux appels d’aînés dans le besoin. Avec ses collègues du projet-pilote financé par le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS), ils ont formé près de 700 sentinelles, soit des préposés d’aide à domicile, des livreurs de pharmacie ou des policiers, par exemple, pour déceler les aînés qui auraient besoin d’un coup de main.

Cette dernière dit multiplier « les petits gestes » pour améliorer la qualité de vie des aînés et assurer leur sécurité. « Juste de remarquer les tapis dans un appartement et parler des risques [de chutes] », dit-elle. 

Fini l’attente

Les équipes peuvent prêter de l’équipement, comme des tabourets ou barres de soutien pour la douche, des marchettes ou des cannes. « Ils en veulent, mais souvent ils ne savent pas lequel acheter, à qui demander, comment l’installer… », décrit-elle. 

Fini aussi l’attente de six mois à un an pour ces appareils auprès de la RAMQ, par exemple. Et en les prêtant de façon préventive, l’aîné peut éviter une chute qui l’aurait conduit à l’hôpital.

« La principale porte d’entrée [en ce moment] pour des soins ou des services, c’est l’hôpital », se désole le Dr Lemire, jugeant qu’il est alors souvent trop tard. 

PRÊTS À EN FAIRE ENCORE PLUS 

Le temps presse pour améliorer les soins et l’aide aux aînés à domicile, selon la Fondation AGES, qui se dit prête à déployer des projets de gériatrie sociale partout au Québec.

« Est-ce qu’on peut attendre ? », demande le directeur général, Elie Belley-Pelletier. « Je ne vois pas comment on peut se dire : on a le temps. »

Le vieillissement de la population s’accélère au Québec. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) estime que les personnes de 65 ans et plus compteront pour le quart de la population dans moins de 10 ans. Chaque année, la province comptera environ 50 000 aînés de plus, selon ses projections.

93 réseaux locaux de services

« On est prêts, on est sur les blocs de départ », poursuit M. Belley-Pelletier, dont l’objectif est de déployer des équipes de gériatrie sociale dans les 93 réseaux locaux de services (RLS) du ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS).

Pour l’instant, la Fondation compte six projets-pilotes financés par Québec, à Laval, à Québec et au Bas-Saint-Laurent, notamment. Les premiers projets ont débuté en 2019 et des fonds ont été débloqués l’an dernier pour les poursuivre et en développer d’autres.

Ils font l’objet d’une évaluation au MSSS et doivent venir à terme en 2023.

Les projets viennent en aide à près de 13 000 aînés, dont la moitié sont inconnus du réseau de la santé, c’est-à-dire qu’ils ne reçoivent aucun service à domicile, par exemple.

Fonds privés

Mais devant les besoins énormes et l’intérêt de groupes communautaires, la Fondation AGES s’est aussi tournée vers des fonds privés, en philanthropie, pour en implanter d’autres.

« Pendant la pandémie, on voyait que ça n’allait pas et qu’il fallait agir », souffle le directeur général.

Néanmoins, la Fondation souhaite un financement stable pour assurer la survie des projets. Elle souligne qu’en évitant les hospitalisations dues à des blessures des suites d’une chute chez seulement 90 personnes âgées de 65 ans et plus, les projets pilotes de gériatrie sociale permettent des économies de 1,7 million $ annuellement. 

« Des solutions, il en existe, elles sont là. Il faut arrêter de chercher la grande réforme et la baguette magique », plaide-t-il.  


En seulement quelques minutes, les navigateurs en gériatrie sociale règlent des problèmes. Des soucis qui tracassaient les aînés depuis des jours, voire des mois, sont vite mis de côté avec un appel ou une promesse d’aide du bon organisme, comme Le Journal en a été témoin en suivant deux navigateurs de Montréal et Laval sur le terrain. Les besoins sont parfois simples, mais s’ils ne recevaient pas d’aide, les aînés rencontrés perdraient rapidement leur autonomie, les empêchant de continuer à vivre chez eux.

Une visite payante

« Ça fait surtout de la visite », lance avec un sourire en coin Janet Zaki, âgée de 79 ans, quand on lui demande pourquoi elle fait appel à la navigatrice de Laval, Mélanie Cyr.

L’aînée avait néanmoins plusieurs questions. Elle ne comprenait pas une question sur le formulaire de renouvellement de sa carte-soleil, et elle repoussait donc depuis des mois l’envoi postal nécessaire.

Elle prenait elle-même ses rendez–vous en ligne pour des prises de sang tous les trois mois, mais le lien ne fonctionnait plus. Aussi, Mme Cyr a ajouté une nouvelle page à ses favoris pour que Mme Zaki puisse recommencer à le faire d’elle-même.

Puis, à quelques semaines d’une grande opération à l’abdomen, Mme Cyr et elle passent en revue toutes les questions et appréhensions de l’aînée, pour qu’elle soit prête et qu’elle sache quoi demander à son médecin. 

Un déménagement simplifié

Une aînée de 87 ans, qui vit dans une résidence pour aînés de Saint-Laurent, reçoit l’aide de Commun-Aînés, conjointement avec l’organisme Mécanisme pour aînés et usagers vulnérables (MAUV), pour déménager plus près de sa fille, à Châteauguay.

L’octogénaire, souhaitant préserver son identité, n’aurait jamais été capable de le faire sans eux, d’autant qu’elle n’a même pas d’ordinateur, par exemple. 

Les organismes ont notamment trouvé des RPA dans son budget et ont planifié des visites. Maintenant qu’elle s’apprête à déménager, ils l’aident aussi pour ses boîtes et à embaucher des déménageurs.

Ils estiment combien de boîtes seront nécessaires, notamment pour voir s’ils peuvent trouver des bénévoles voulant aider l’aînée à faible revenu.

« Vous êtes un cadeau du ciel ! », leur lance-t-elle. 

Démêler ses rendez-vous

« Les hôpitaux, ils en donnent trop à la fois [des rendez-vous], c’était bam bam bam ! », illustre avec humour Alan Wilson, âgé de 78 ans. 

L’aîné se faisait ensuite sermonner pour avoir manqué des visites médicales importantes, mais il en perdait le fil. C’est sans compter que le taxi, à l’aller et au retour, lui coûtait souvent plus de 40 $ alors que ses finances sont serrées.

Durant la visite hebdomadaire de Luis Segovia de CommunAînés, ils démêlent le tout. M. Segovia souligne aussi que l’aîné de Saint-Laurent avait des rendez-vous éparpillés dans divers hôpitaux, jusqu’au Lakeshore, dans l’ouest de l’île.

Ensemble, ils planifient aussi un transport adapté à un dollar. Il prend ainsi soin de sa santé, repoussant le moment où il pourrait devoir se retrouver en CHSLD.

Au-delà de l’aide qu’on lui apporte, M. Wilson y trouve aussi du réconfort. « Surtout pour moi, car je suis seul avec mon chat, et des fois, j’ai juste besoin de me remonter le moral », confie-t-il. 

Des impôts enfin réglés 

PHOTO HUGO DUCHAINE

Âgé de 62 ans, Luc Vézina était complètement dépassé quand la navigatrice Mélanie Cyr l’a rencontré. C’est sa sœur qui lui en avait parlé pour obtenir de l’aide.

Vivant avec des problèmes de santé, notamment le diabète, qui lui a endommagé les nerfs des jambes et coupé toutes les sensations, il n’était plus capable de faire son ménage seul et il vivait dans un appartement terriblement encombré.

Il n’avait pas non plus payé ses impôts depuis deux ans. Il lui manquait des documents qu’il n’avait pas reçus ou ne retrouvait plus.

« J’étais découragé… », laisse-t-il tomber. Mme Cyr l’a accompagné auprès d’une association coopérative d’économie familiale (ACEF), qui a démêlé ses affaires. 

Il pourra même dorénavant bénéficier d’un crédit d’impôt en raison de son handicap, ce qui soulagera les finances serrées de cet ancien travailleur de la construction.

« C’est plus qu’un soulagement, dit-il à propos de l’aide en gériatrie sociale. Du bon monde, il n’y en a pas beaucoup. » 

Des marches sans douleur 

PHOTO HUGO DUCHAINE

« C’est difficile à accepter, mon vouloir ne s’arrime pas avec mon pouvoir », enrage une aînée de 79 ans, devant Luis Segovia de CommunAînés.

Préférant rester anonyme, elle raconte avoir passé une journée en larmes récemment, à regarder le soleil à l’extérieur et se sentant coincée chez elle en raison de ses douleurs aux hanches.

Une simple marche pour se rendre à l’épicerie doit être ponctuée de pauses. « Je suis trop orgueilleuse. Je m’arrête et je fouille dans mon sac pour faire semblant de lire ou chercher des papiers, mais c’est juste pour me reposer avant de repartir », confie-t-elle.

L’organisme lui a prêté un tabouret pour la douche, car elle avait fait deux chutes. Cette fois, elle recevra un déambulateur pour pouvoir s’asseoir et se reposer quelques minutes durant ses marches, ce qui lui permettra de reprendre ses sorties.

Source : journaldequebec.com , Hugo duchaine , 25 septembre 2022

AQDR