Un minimum de décence pour les aînés

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE
« Donner à manger et à boire aux personnes âgées sous notre responsabilité. Éviter de les évincer de chez elles ou de leur retirer leurs services sans raison. Ça s’appelle la base de la décence. On ne peut faire de concessions là-dessus », écrit notre éditorialiste.

Ce fut une semaine épouvantable pour les personnes âgées du Québec. Une autre.

Une vingtaine d’entre elles ont dû être évacuées d’urgence de leur résidence privée pour aînés parce qu’elles étaient dénutries et déshydratées.

Des centaines d’autres se sont vu remettre un avis d’éviction parce que leur milieu de vie avait été acquis par un promoteur qui semble davantage préoccupé par ses profits que par leur bien-être.

Entre la chute du chef conservateur Erin O’Toole et les convois de la « liberté », ces nouvelles sont presque passées inaperçues. En soi, ça en dit long.

Ces deux cas soulèvent pourtant d’importantes questions sur l’encadrement des résidences privées pour aînés – les fameuses RPA.

Ils témoignent surtout de la précarité dans laquelle se trouvent encore de nombreuses personnes âgées au Québec. Et de l’indifférence qu’on leur réserve.

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La nouvelle la plus choquante concerne la résidence Le Phare de Paix, à L’Épiphanie. On a dû y évacuer 21 personnes âgées « déshydratées et dénutries1 ».

L’affaire ravive de douloureux souvenirs. Au début de la pandémie, des aînés sont morts de soif dans leurs couches souillées au CHSLD Herron. En 2020. Au Québec. À l’époque, on s’était dit : plus jamais.

Moins de deux ans plus tard, on se retrouve pourtant à devoir encore extirper des gens affamés et assoiffés d’une RPA. Ça dépasse l’entendement.

Les propriétaires du Phare de Paix doivent répondre de ce qui apparaît comme de la grave négligence. S’ils avaient perdu le contrôle des lieux (on sait qu’il y avait une éclosion de COVID-19), pourquoi ne pas avoir sonné l’alarme ?

Devant de tels drames, le premier réflexe est de dire que le privé n’a pas la capacité de s’occuper de nos aînés et qu’il faut ramener les RPA dans le giron public. Le hic, c’est qu’il y a plus de 1600 résidences privées pour aînés au Québec, qui totalisent 137 500 appartements. Nationaliser un tel réseau nécessiterait des ressources gigantesques.

Ce qui nous amène à l’encadrement de ces lieux. Ultimement, ce sont les CISSS et CIUSSS qui sont responsables des résidants en RPA. Quand le bien-être et la santé de ceux-ci sont menacés, c’est donc que l’État a failli à son devoir de surveillance.

Les certifications sont-elles accordées trop facilement ? Considérant le manque de coopération de certains propriétaires, on peut se le demander.

La question du respect des normes est aussi criante. En 2019-2020, 571 inspections ont été faites dans les RPA. C’est quatre fois plus qu’un an plus tôt. Mais considérant les 1600 établissements, c’est encore très peu.

Jusqu’à récemment, il n’y avait que 7 inspecteurs pour toute la province – moins que les 18 inspecteurs provinciaux voués au bien-être animal, comme le rappelait Radio-Canada en juin 20202 ! Depuis, Québec a embauché 10 inspecteurs supplémentaires et 7 autres postes sont à pourvoir.

La ministre Marguerite Blais a aussi déposé un projet de loi contre la maltraitance des aînés. Et Québec a débloqué des centaines de millions pour soutenir les RPA pendant la pandémie, en ciblant notamment les petits établissements pour permettre aux aînés de rester dans leur communauté.

Tout cela est positif. Mais le drame du Phare de Paix est la preuve que c’est insuffisant.

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Comme si ce n’était pas assez, notre collègue Louise Leduc nous apprenait que des centaines d’aînés vivant dans les RPA montréalaises de Mont-Carmel et de Château Beaurivage avaient reçu cette semaine un avis d’éviction.

Leurs résidences ont été achetées par Gestion LRM, qui veut convertir la totalité de Mont-Carmel et deux des trois tours de Château Beaurivage en immeubles de logements ordinaires3.

Le choix qui s’offre aux résidants est loin d’être enthousiasmant. Soit ils restent, mais perdent leurs services adaptés et essuient une hausse de loyer, soit ils déménagent.

Ils ont du temps et de l’aide. Un propriétaire qui veut fermer une RPA doit en aviser le CISSS ou le CIUSSS six mois à l’avance. Les autorités sont d’ailleurs à pied d’œuvre pour aider les gens touchés à se reloger.

Mais déménager provoque un stress, une perte de repères, une rupture des liens sociaux. Dans ce cas, il semble clair que l’acheteur n’avait aucun désir d’exploiter des RPA lorsqu’il les a achetées. C’est choquant.

Le cas n’est pas unique. Au cours des cinq dernières années, 434 RPA ont fermé au Québec. Les ouvertures ont compensé les fermetures et le nombre total de places augmente. Mais chaque fois, cela implique des déménagements et des bouleversements.

On ne peut gérer un investissement en immobilier locatif comme on gère un placement en Bourse. Derrière les transactions, il y a des êtres humains et leur droit fondamental au logement. C’est encore plus vrai pour les aînés, souvent plus vulnérables.

Tant la protectrice du citoyen que la commissaire à la santé et au bien-être ont montré que les aînés avaient été dans l’angle mort de la pandémie. Leurs constats doivent pousser au changement.

Donner à manger et à boire aux personnes âgées sous notre responsabilité. Éviter de les évincer de chez elles ou de leur retirer leurs services sans raison. Ça s’appelle la base de la décence. On ne peut faire de concessions là-dessus.

Source : Lapresse PHILIPPE MERCURE

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