Le diagnostic est clair : « Les Québécois n’en ont pas pour leur argent. » Le ministre de la Santé ne s’est pas gêné pour dire tout haut ce que la majorité des contribuables pensent des services de l’État.
Le commentaire de Christian Dubé s’inscrivait dans le cadre des négociations avec les médecins de famille, qui réclament toujours plus d’argent, alors que la population se désâme pour obtenir des soins.
Mais son constat s’applique bien au-delà du système de santé. Partout, les services sont en déroute, malgré la facture d’impôts salée. Au provincial comme au fédéral, la fonction publique encroûtée n’arrive pas à exécuter les tâches les plus simples.
Regardez du côté de Québec. Des citoyens endeuillés doivent patienter jusqu’à cinq mois pour obtenir un certificat de décès, essentiel pour régler une succession. C’est désolant.
À Ottawa, rien ne va plus à l’Agence du revenu du Canada. Documents égarés, attente interminable au téléphone, allocations en retard… Ça refoule jusqu’à l’Ombudsman des contribuables, chien de garde de la qualité des services du fisc, qui connaît une hausse spectaculaire des plaintes depuis la pandémie.
Pourtant, la fonction publique a engagé à pleines portes ces dernières années.
Alors que la Coalition avenir Québec (CAQ) avait promis de supprimer 5000 postes de fonctionnaires, il s’en est plutôt ajouté 10 600 depuis son arrivée au pouvoir. En comptant tous les employés de l’État, la hausse atteint presque 73 000, un bond de 11 % depuis 20191.
Depuis 2015, le gouvernement Trudeau a gonflé de 40 % la fonction publique fédérale, qui compte désormais 367 000 employés. Dire qu’en 1873, le premier ministre Alexander Mackenzie n’avait même pas de secrétaire et répondait lui-même au courrier !
Pourquoi l’élargissement de la fonction publique n’a-t-il pas permis d’améliorer la prestation de services ?
C’est que la majorité des fonctionnaires sont des « poètes » et non des « plombiers », explique le politicologue chevronné Donald J. Savoie dans un ouvrage fort intéressant, Speaking Truth to Canadians about Their Public Service, qui paraîtra dans quelques jours.
Alors que les plombiers sont réellement en contact avec le public, les poètes dessinent des politiques publiques, s’occupent des communications, coordonnent les départements… Bref, ils font tout sauf livrer des services.
À l’intérieur de la fonction publique, personne ne remet en question la taille et la performance de l’État. Qui voudrait se faire hara-kiri ?
Le problème, c’est que les décisions sont centralisées dans le bureau du premier ministre… qui est trop occupé pour regarder sous le capot. C’est sans compter qu’il a besoin de la fonction publique pour réaliser son programme politique et pour gérer les urgences.
Alors, rien ne bouge. Et le mammouth ne fait qu’engraisser.
D’un gouvernement à l’autre, on lance de nouveaux programmes sans remettre en question les anciens. Cette sédimentation crée un État de plus en plus lourd, complexe et inefficace qui mine la confiance du public envers leurs institutions.
Certains en viennent à voir le gouvernement comme un État profond (deep state) formé de bureaucrates qui poursuivent leurs propres objectifs, au détriment du bien collectif.
Au-delà de la qualité des services, c’est donc la santé de la démocratie qui est en jeu.
Un sérieux débat s’impose.
Est-ce que tous les programmes sont essentiels ? Est-ce que tous les organismes publics – on en compte 300 juste à Ottawa – ont encore leur raison d’être ? Est-ce qu’ils pourraient livrer les services de manière plus efficace ?
Dans le privé, une entreprise inefficace perd des clients, encaisse des pertes, remercie des employés et fait ultimement faillite. L’écrémage se fait naturellement. La loi du marché pousse les entreprises à s’améliorer sans cesse.
Dans le secteur public, il n’y a pas de marché. Et la fonction publique est peu outillée pour évaluer sa propre performance. La recette est pourtant simple : mesurer, comparer, s’inspirer des meilleures pratiques pour s’améliorer… et recommencer l’exercice.
Facile à dire, moins facile à faire. Voici deux exemples d’initiatives qui sont tombées à plat, faute de courage politique.
Pendant quelques années, le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal a préparé un palmarès annuel qui comparait le coût des services des municipalités du Québec (p. ex. : enlèvement des ordures, réfection des rues).
Malgré sa grande utilité, cet exercice de transparence ne faisait pas le bonheur de toutes les municipalités qui ont insisté auprès de Québec pour que les données ne soient plus disponibles. Dommage.
Deuxième exemple. Il y a 10 ans, une commission provinciale présidée par l’ancienne ministre Lucienne Robillard avait proposé de mettre en place un mécanisme indépendant et transparent de révision permanente des programmes du gouvernement2.
Avec un tel outil, l’État aurait eu la capacité de se remettre en cause de façon continue et systématique, pour le bien commun de la population. L’idée était excellente… mais elle s’est évanouie. Il n’est jamais trop tard pour bien faire. Québec et Ottawa auraient grandement besoin d’un tel mécanisme d’amélioration continue.
Autrement, l’État est condamné à subir périodiquement des coupes paramétriques qui passent aveuglément tous les programmes à la tronçonneuse, lorsque les finances exigent un coup de barre urgent.
C’est le pire des scénarios. On affaiblit les bons programmes, sans éliminer les mauvais. On nuit aux clientèles plus vulnérables. Et on démotive les travailleurs.
L’objectif n’est pas de détruire la fonction publique, mais de l’améliorer. Les citoyens méritent des services publics performants. Pour cela, il faut se donner les moyens de casser le moule.
Source: Casser le moule de notre fonction publique encroûtée | La Presse