Des grands-mères inquiètes s’adressent au ministre de l’Éducation

for-reading-813666_960_720Une trentaine de grands-mères avaient leur mot à dire au ministre de l’Éducation, Pierre Moreau. Ainsi, ces femmes aînées du Québec soulèvent une intéressante réflexion sur l’éducation dans notre société. Voici donc l’intégrale de leur lettre qui, nous l’espérons, fera son chemin jusqu’aux plus hautes instances.

Lettre au ministre de l’Éducation

L’éducation étant au cœur de nos vies, nous nous adressons à vous à titre de grands-mères, de mères et de retraitées ou travailleuses à tous les niveaux du système d’éducation et dans différents champs de connaissance et d’apprentissage.

Nous en appelons à la mission sociale liée à vos fonctions, à cet engagement d’œuvrer à l’amélioration du système d’éducation et particulièrement de l’école publique, trop négligée dans les derniers budgets. C’est le mandat que la population vous a donné. Le possible règlement  des conditions de travail des enseignant-e-s ne doit pas vous faire oublier l’urgence de donner priorité à l’école publique en y investissant massivement pour préserver cet héritage démocratique.

Pour nous, votre rôle ne se limite pas à gérer l’austérité en faisant de l’éducation une opération comptable. Votre responsabilité ne consiste-t-elle pas plutôt à investir dans la formation des jeunes et ainsi démontrer que, dans des périodes de crise, l’éducation est la voie incontournable pour mieux préparer les futurs citoyens aux défis énormes auxquels toute la société est confrontée?  C’est aussi une voie privilégiée pour développer chez eux une réflexion qui les amène à la recherche de solutions possibles dans des champs de connaissances et de créativité qui les passionnent. Il est impératif de tenir compte de l’apport énorme du système d’éducation à la culture, aux sciences, aux activités physiques, aux  découvertes scientifiques et techniques, etc.  Pensons aussi à la contribution des différents intervenants  des institutions d’enseignement au développement de tous ces jeunes scientifiques, techniciens et artistes qui contribuent à notre rayonnement culturel.

Nous savons à travers notre propre histoire et celle de nos enfants et petits-enfants que l’éducation commence dès la naissance. La famille et les garderies en sont les acteurs principaux. Nous réclamons donc pour nos petits des Centres de la petite enfance où on prend soin d’eux, où on les guide dans leur développement, où on trouve le temps de les écouter et de les consoler, des centres qui sécurisent parents et enfants parce que nos petits s’y sentent bien, des lieux où on s’occupe autant de socialiser les enfants que de dépister leurs besoins spécifiques en apprentissage de base.       

Votre propre expérience ne vous rappelle-t-elle pas que l’élève aime l’école quand il apprécie le professeur qui explique avec patience et est encore passionné par la matière enseignée?  Il aime aussi l’école parce qu’il s’y fait des ami-e-s, qu’il y  acquiert plein de nouvelles connaissances, qu’il y pratique des activités intéressantes et qu’il y développe l’estime de soi. L’aspect relationnel est extrêmement important aux niveaux primaire et secondaire pour susciter l’intérêt et la motivation. Or il est évident que cet aspect relationnel n’est pas pris en compte dans les conditions actuelles. Il nous apparaît extrêmement difficile pour les enseignants du primaire et du secondaire de porter une attention particulière au développement de chaque enfant dans des classes où les difficultés d’apprentissage d’un grand nombre d’entre eux nécessitent une énergie incroyable faute de ressources pour leur faciliter la tâche.

De nombreuses recherches démontrent qu’un parcours pauvre en réussites au primaire conduit souvent au décrochage scolaire. Notre expérience, y compris dans nos propres familles, nous a appris qu’un soutien pédagogique approprié dès l’enfance contribue grandement sinon à résoudre les difficultés d’apprentissage des élèves du moins à les atténuer, en leur donnant confiance dans leurs capacités. Or avec les coupures effectuées dans les différents services d’aide, on risque d’accroître les difficultés d’apprentissage de ces enfants, y compris dans la compréhension de notre langue. Les services privés sont eux-mêmes débordés et la majorité des parents n’ont guère les moyens de les offrir à leurs enfants. Un grand nombre de grands-parents doivent alors venir en aide à leurs petits-enfants.

L’école privée, largement subventionnée, de même que les écoles à vocation particulière, elles aussi en danger, sont de bons exemples d’institutions qui ne tablent pas que sur les matières académiques pour intéresser et motiver leurs élèves. Sport, sciences, musique, théâtre figurent aussi au programme. Quel contraste avec l’état pitoyable de l’école publique où les moisissures ne sont que le reflet du retrait de l’État d’un financement adéquat! En période d’austérité, nous en avons toutes connues, il s’avère essentiel d’inscrire l’éducation en tête des priorités du gouvernement.

Pour nous aussi, l’éducation des enfants reste au cœur de nos choix financiers. Votre mandat de ministre exige que vous affectiez les budgets et les ressources nécessaires à la formation de ces milliers d’enfants, de jeunes qui apprendront à aimer l’école parce qu’on aura rendu ce milieu de vie stimulant, parce qu’ils y réussiront et pourront y développer tout leur potentiel dans des champs de connaissance motivants et dans des activités intéressantes. Nous tenons, comme femmes, à souligner l’importance d’une véritable accessibilité à l’éducation puisque c’est cette accessibilité qui nous a permis d’œuvrer en éducation et d’y apporter notre contribution,  malheureusement sous-évaluée, au développement affectif, cognitif, académique, social et culturel des jeunes d’hier à aujourd’hui.

Si le gouvernement a su trouver 1 milliard pour Bombardier et ainsi protéger 14000 emplois, combien de milliers d’emplois un investissement massif dans l’éducation pourrait-il préserver et créer en assurant une plus grande stabilité à tout ce personnel aux emplois précaires qui court d’une institution à l’autre et qui, à peine le lien créé et la matière intégrée, doit quitter ses élèves, en ouvrant aussi la porte à tous ces diplômés sans travail, en sciences par exemple, parce que les budgets de recherche ont été considérablement amputés et que la tâche des enseignant-e-s a été augmentée?  N’oublions pas, monsieur le ministre, que l’éducation a toujours constitué un apport au développement économique, social et culturel d’un milieu. À titre d’exemples, mentionnons, entre autres, le CEGEP de Victoriaville engagé dans le développement durable par le recyclage et l’utilisation d’engrais naturels, le CEGEP de La Pocatière orienté vers l’agriculture biologique, CEGEPS en spectacle, tremplin pour un grand nombre de jeunes artistes. En fournissant aux élèves tous les instruments nécessaires à la recherche, particulièrement les livres, ils pourront trouver réponse aux interrogations qui les habitent et contribuer à l’amélioration de la vie en société et à la protection de notre habitacle commun, la Terre.

Imaginez les économies que nous ferons en permettant à tous ces jeunes, y compris à ceux et celles affecté-e-s de déficiences, de difficultés d’apprentissage, en lien souvent avec leurs conditions sociales, d’apporter leur contribution à la vie sociétale. L’ignorance et la pauvreté sont, comme les événements récents nous le démontrent, un terrain fertile pour des violences de toutes sortes.

L’on se doit de reconnaître à sa juste valeur le travail des éducatrices, des enseignant-e-s, des professeurs en témoignant du rôle majeur que certains-e-s ont joué dans nos vies. Vous vous rappelez sûrement, monsieur le ministre, les professeur-e-s qui ont contribué à former celui que vous êtes aujourd’hui. N’est-il pas temps de donner à ceux et celles qui exercent ce métier toutes les conditions nécessaires pour leur permettre de former des êtres humains, des citoyens, des travailleurs qui contribueront à enrichir la société et à la faire évoluer? L’éducation, y compris l’éducation populaire,  est la seule voie vers une véritable démocratie. Parce ce que c’est par l’éducation que nous apprenons le vivre-ensemble, le respect et l’écoute de l’autre. L’avenir de notre société en dépend.

Les signataires de la lettre : Aline Baillargeon, Andrée Adams, Andrée Larose, Annick Allard, Chantal Michaud, Claire Duguay, Colette Dostie,  Danièle Aveline, Denise Lieutenant, France Gagnon, Hélène Gagnon, Louise Boivin, Louise de Broin, Louise Duguay, Louise Giroux, Louise Martin Caya, Lucienne Hick, Lyse Brunet, Marie-Claire Carpentier Roy, Maryse Allard- Jacob, Michèle Rinfret, Micheline Dumont, Monique Desmarais, Nicole Ménard, Nicole Tremblay, Renée B. Dandurand, Rosette Coté.

AQDR